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Mémorial des Justes
Mémorial des Justes
21 décembre 2009

Aperçu de la vie de Salman al Fariçi (P) (Salman le Perse)

Iranien mazdéen converti au christianisme puis à l’islam, compagnon du prophète Mohammad et fidèle disciple de l’Imâm ’Alî, Salmân le Perse (Salmân al-Fârisî), qui fut également surnommé Salmân le Pur (Salmân Pâk en persan) est une personnalité centrale de l’histoire de l’islam du fait des liens étroits qu’il entretint avec le Prophète, mais également de par son influence sur de nombreux courants mystiques et soufis, ainsi que sur la gnose d’inspiration chiite jusqu’à aujourd’hui. Au-delà de sa dimension historique, le personnage de Salmân est également l’archétype par excellence de l’expatrié et de l’exilé (gharîb) ayant abandonné toute attache matérielle pour partir en quête de la Vérité. Selon certains récits de la tradition musulmane, il fait partie des "proches de Dieu" (moqarrabûn) et des croyants ayant réussi à conjoindre une connaissance parfaite des réalités divines à une foi profonde et sans faille, ceux que le Coran désigne comme "ashâb al-yamîn" (les compagnons de la droite). [1] Outre l’insigne honneur d’avoir été considéré comme l’un des membres de la Famille du Prophète (Ahl al-Bayt), il a également été surnommé l’imâm, le juge sage, l’héritier de l’islam, le savant reconnu ; tous ces surnoms évoquant son statut éminent dans l’islam, et plus particulièrement dans le chiisme et certains courants mystiques. Salmân le Perse a également été l’objet d’attention des grands orientalistes français Louis Massignon - il ira même jusqu’à jouer un rôle central dans son parcours spirituel personnel - et Henry Corbin pour qui Salmân est l’archétype même du gnostique achevé, détenteur du sens profond des révélations prophétiques antérieures. Initiateur par excellence, Salmân le Perse reste vivant dans la conscience gnostique jusqu’à aujourd’hui, et son rôle transhistorique n’est pas sans rappeler le motif de Khezr-Elie qui joua un rôle central dans la formation de grands mystiques tels qu’Ibn ’Arabî. Outre sa personnalité exceptionnelle, Salmân le Perse fait donc partie de ces maîtres invisibles au monde (ostâd gheibî) mais présent au cœur de certains fidèles "exilés" (ghorabâ), présence faisant écho à la rencontre en songe du pèlerin mystique avec un adolescent d’une beauté parfaite dans le Récit de l’archange empourpré de Sohrawardî : "O jouvenceau, d’où viens-tu donc ? Et le Maître de répondre : "Enfant ! Tu fais erreur en m’interpellant ainsi. Je suis, moi, l’aîné des enfants du Créateur, et tu m’appelles "jouvenceau" ?" [2]
Itinéraire d’un parcours spirituel hors du commun
S’il a parfois été dénié à Salmân le statut de personnage historique [
3], la réalité de son existence semble être attestée par la tradition islamique comportant de nombreux récits à son sujet ; elle a été par la suite largement confirmée par les recherches de plusieurs grands orientalistes occidentaux. Il existe de nombreuses versions de sa biographie plus ou moins étoffées d’anecdotes souvent invérifiables. Cependant, en nous basant sur les éléments qui leur sont communs, Salmân serait né dans la ville de Jayyân en Perse, près de l’actuelle Ispahan, dans une famille mazdéenne de grands notables, aux alentours de l’an 568. Il portait alors le nom de Roozbeh et dès son enfance, son père lui confia la charge d’entretenir le feu sacré - qui ne devait jamais s’éteindre - dans l’âtashkadeh [4] local.
Un jour, touché par des chants religieux venant d’une église, Salmân demanda qui pouvait être loué d’une si belle façon. Bouleversé par sa découverte du christianisme, il se mit à réfléchir sur ses croyances, trouvant dès lors illogique que la divinité mazdéenne - en l’occurrence, le feu - ait besoin d’être entretenue par l’homme sous peine qu’elle ne s’éteigne (cette démarche rationnelle n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle d’Abraham décrite dans le Coran, qui refuse d’adorer le soleil, la lune et les étoiles, en se basant sur le fait que tout ce qui disparaît ne peut être digne d’être adoré comme Dieu). [
5] Il embrassa dès lors la religion chrétienne. En apprenant la nouvelle, son père furieux décida de l’enfermer dans un cachot. Il parvint néanmoins à s’enfuir et se rendit en Syrie où il suivit un enseignement religieux auprès de plusieurs évêques et moines chrétiens. Il apprit de l’un de ses maîtres la prochaine venue d’un prophète destinée à clore le cycle des révélations prophétiques ainsi qu’à faire revivre la vraie religion originelle d’Abraham. Ce prophète devait être reconnu par une série de "signes" que lui enseigna son maître : il sera arabe, portera sur son dos l’empreinte du "sceau de la prophétie", et acceptera de recevoir des cadeaux mais non les aumônes (sadaqat). A la suite du décès de son dernier maître, il se mit en route vers l’Arabie, lieu de naissance annoncé du futur prophète.
Il fut cependant trahi par ses compagnons de route et vendu à titre d’esclave à un juif de Médine appartenant à la tribu des Banû Qurayza. Il fut ensuite cédé à un autre juif résidant dans la ville de Qubâ, près de Médine, et dû travailler durement dans une palmeraie. Ayant un jour appris qu’un nouveau prophète se dirigeait vers Médine, Salmân vint à sa rencontre avec l’intention de vérifier s’il portait les signes indiqués par son maître : il lui offrit tout d’abord un plateau de dattes sous forme d’aumône, que le prophète accepta en les offrant à ses compagnons sans en manger lui-même. Quelques jours après, il mangea les dattes que Salmân lui offrit cette fois-ci à titre de cadeau. Enfin, il entraperçu le sceau de la prophétie sur la nuque du Prophète. Ayant ainsi reconnu l’ensemble des signes qui lui avaient été annoncés, il se converti à l’islam. [
6] Le prophète Mohammad ainsi que ses compagnons l’aidèrent par la suite à remplir les conditions fixées par son maître pour l’affranchir de sa condition d’esclave : plusieurs kilos d’or, ainsi que la mission de planter trois cents jeunes pousses de dattiers et les entretenir jusqu’à ce qu’ils croissent normalement.
Salmân devint par la suite l’un des proches compagnons du prophète. Il se définissait désormais comme "Salmân, fils de l’islam issu des enfants d’Adam". [
7] Selon Martin Lings, Salmân était également un artisan et un barbier, exerçant notamment la fonction de circonciseur. [8] Il se distingua rapidement par sa bonté, sa piété, ainsi que par son intelligence et son érudition : il maîtrisait l’ensemble des sciences de son époque et avait une connaissance approfondie du zoroastrisme ainsi que des Ecritures. En outre, il acquit rapidement une parfaite maîtrise de la langue arabe et fut le premier à commencer une traduction du Coran dans une langue étrangère, le persan. [9]
Salmân le Perse a contribué à inaugurer un idéal de chevalerie mystique basée sur une filiation spirituelle, et dont la quête de Vérité prend les allures d’une véritable épopée destinée à se réaliser dans le cœur de chaque croyant. Il est donc le modèle du croyant par excellence, tout en incarnant pour la conscience gnostique une spiritualité avant tout intérieure dont l’horizon est déterminé par la présence d’un "guide". Il fait donc partie des "médiateurs" susceptibles de se manifester à la conscience du fidèle au cœur pur afin de le guider dans sa quête vers l’Outremonde. Il incarne enfin le but et désir ultime de tout pèlerin mystique : entendre un jour, avec les oreilles du cœur, s’élever en lui un murmure faisant écho à la fameuse phrase du Prophète adressée à Salmân : "Tu fais partie de nous… (intâ minnâ…)".

Amélie Neuve-Eglise.


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